In-con-tes-ta-ble-ment. Et c’est si vrai que, quand on en manque, on est forcé de prendre celui des autres. Cela peut se faire, d’ailleurs, avec beaucoup de loyauté.
— Je ne force personne, fait observer affablement un prêteur à cent cinquante pour cent, mais j’ai des risques et il faut que l’argent travaille. Vivre sans argent est aussi inconcevable pour cet homme juste que vivre sans Dieu pour un solitaire de la Thébaïde. Et ces deux viveurs ont raison, puisque leur objet est identique, inexprimablement identique.
Ayant déjà tellement prouvé qu’il est impossible de vivre sans manger, il est à peu près oiseux d’entreprendre la démonstration de la vitale nécessité de l’argent. Manger de l’argent ! hurlent en cœur les pères de famille. Quel trait de lumière que cette locution métonymique !
Hé ! que pourrait-on manger, dites-le moi, si on ne mangeait pas de l’argent ? Existe-t-il dans le monde une autre chose qui soit mangeable ?
N’est-il pas clair comme le jour que l’Argent est précisément ce même Dieu qui veut qu’on le dévore et qui seul fait vivre, le Pain vivant, le Pain qui sauve, le Froment des élus, la Nourriture des Anges, mais, en même temps, la Manne cachée que les pauvres cherchent en vain ?
Il est vrai que le Bourgeois, qui sait presque tout, ne pénètre pas ce mystère. Il est vrai aussi que le sens du mot « vivre » ne lui est pas clair, puisque l’argent sans lequel il soutient généreusement qu’on ne peut pas vivre est, néanmoins, pour lui, une Question de vie ou de mort…
N’importe, il le possède, voilà l’essentiel. S’il ne le mange pas lui-même, d’autres le mangeront après lui, c’est sûr.
Mais quand il profère ces mots redoutables, j’ose le mettre au défi de ne pas ressembler à un vrai prophète et de ne pas affirmer Dieu avec une force infinie. Trahitur sapientia de occultis.